Peut-on tout montrer sur les animaux ?
Vers une éthique de l'image animalière : le magazine "Le monde des animaux" de mars 2021 (N°36) vous invite à découvrir un article rédigé par Corinne Lesaine, Aloki Conseil :
Entre image et réalité, il existe un monde où l’animal est représenté malgré lui dans des situations qui ne lui conviennent pas toujours. Au-delà des enjeux de protection de la jeunesse et de la sensibilité du public, il en va surtout des enjeux relatifs à la protection des animaux à l’image. En un mot, peut-on vraiment tout montrer et tout voir sur les animaux ?
L’éthique animalière, un art ou un devoir ?
L’éthique de l’image animalière, peut-elle prendre place aux côtés de la liberté d’expression, la créativité artistique ou la fiction ? Certainement sans s’y opposer pour autant. Chaque photographie, image ou vidéo peut bénéficier avant sa diffusion d’un regard extérieur tel une prise de conscience systématique de l’impact qu’elle aura sur les plus fragiles, les plus sensibles d’entre-nous. La pédagogie et la sensibilisation au respect animal des jeunes générations par l’image est essentielle dans un monde où l’image est plus puissante que les mots ; elles les préparent à leur futur rôle sociétal, environnemental et protecteur face ce que nous leur laissons, le vivant, leurs images et leurs films. Pour cette raison, associer une éthique à l’image animalière, c’est diffuser une œuvre d’un nouveau genre, à la croisée des chemins, entre devoir de protection du public et un art engagé pour la cause animale. Deux objectifs se recoupent ainsi, celui de préserver la dignité de l’animal par l’image et celui de considérer la sensibilité des plus jeunes face aux violences faites sur les animaux, qu’elles soient simulées, fictives ou non. Se préoccuper de l’éthique de l’image animalière, c’est éviter des dérives comportementales sans attendre qu’une obligation de signalétique jeunesse comme celle du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), ne puisse à terme être imposée par un conseil d’experts en droits et éthique de l’animal. Les vétérinaires l’ont d’ailleurs bien compris en adressant un message fort à la société, avec le guide de bonnes pratiques édités par la British Veterinary Association (BVA), qui replace la santé et le bien-être animal au cœur de l’image même publicitaire.
En quoi consiste l’éthique de l’image animalière ?
L’image est au service du message et non l’inverse. Si nous pensions qu’il serait tout à fait éthique que de filmer un éléphant en équilibre sur des verres en cristal, nous aurions oublié ce que représente cette position pour l’éléphant, une souffrance et un symbole de son exploitation loin de son environnement naturel. Tout ceci n’est qu’illusion car il existe bien évidemment des outils solides qui permettent de vérifier en amont l’adéquation de l’image des animaux véhiculée par les images et la réalité de leur condition actuelle, telle qu’on la connait au 21ème siècle et qui de surcroît, est extrêmement variable selon le statut de l’espèce animale (protégée ou pas). Trois aspects majeurs ont été identifiés comme relevant de l’éthique de l’image animalière :
1-La représentation faite d’un point de vue humain au-travers de l’animal qui ne serait pas conforme à l’éthique humaine ;
2-La diffusion ou la promotion de comportements humains ou d’activités pouvant porter atteinte aux animaux, tant en lien avec leur condition que leur dignité ;
3-La mise en exergue de caractéristiques ou d’anomalies propres à l’animal qui ne sont plus autorisées en France ou qui ne sont pas conformes à ce que recommandent les professionnels de la santé et du bien-être des animaux pour maintenir leur qualité de vie ou leur survie.
Le monde de la publicité en 2010, par le biais de son conseil éthique, a publié un avis intitulé « Animaux, société, publicité » en faveur d’une publicité véridique, loyale et saine, en s’appuyant sur les recommandations déontologiques des vétérinaires, de chercheurs ou de biologistes. Le conseil d’éthique est régulièrement confronté aux représentations de situations de maltraitance ou de souffrance animale, aux comportements humains pouvant porter atteinte à la biodiversité, au contournement de règles déontologiques qu’autoriserait la représentation de personnages sous forme animale plutôt qu’humaine, ou à l’atteinte potentielle à la dignité de l’animal lorsque celui-ci est représenté dans des situations humiliantes, risibles ou niant son animalité.
Le public est définitivement sensible à la condition animale ! Soit plus de 3 français sur 4 sont prêts à défendre les droits des animaux jusque dans l’exploitation de leur image. Les avis du conseil éthique s’enrichissent nécessairement de cas concrets qui permettent d’améliorer le niveau de connaissances sur le sujet tout en suivant l’évolution des consciences et des perceptions du public. Une image tournée et diffusée il y a 20 ans ne recevra probablement plus le même accueil désormais. Certaines plaintes déposées par le public ont par ce biais, été évaluées et dénoncées par le conseil déontologique de l’ARPP* comme en 2011, avec l’image d’un chat perché dans un arbre, fléché par l’acteur à l’aide d’une sarbacane ; ou en 2018, une publicité dénoncée par la Ligue de protection des oiseaux (LPO) qui diffusait par voie d’affichage dans le métro l’image d’espèces animales sauvages (et protégées) représentées comme étant des prédateurs sexuels pour l’homme (requin, ours et loups).
Vers une communication responsable par l’image…
C’est en considérant toutes les pratiques qui portaient atteinte à l’intégrité du chien, du chat, du cheval, des nouveaux animaux de compagnie dont les poissons rouges, qu’en 2018, la British Veterinary Association a développé un guide de référence en communication responsable, une communication respectueuse de la santé et du bien-être de l’animal. Ainsi, la situation dans laquelle se retrouve l’animal par le biais de l’image ne doit pas le placer dans une situation qui occasionnerait douleur, danger, maladie ou souffrance psychique. Chacune des situations dans lesquelles sont présentés les animaux peuvent ainsi rester conformes aux principes des cinq libertés fondamentales du bien-être animal. Sont listées les erreurs à ne pas commettre comme le choix de l’espèce, de la race, de l’âge, de l’environnement, du matériel ou des produits qui lui sont associés, les attitudes à son égard, l’absence de souffrance ou de stress, le refus des hypertypes raciaux comme les chiens et chats brachycéphales. Le guide souligne les erreurs à ne pas commettre : « De la publicité télévisée au support marketing, la grande visibilité des animaux domestiques peut normaliser certains défauts héréditaires, un état de bien-être médiocre, un régime alimentaire ou un logement inapproprié, susciter la demande de certaines races d’animaux présentant des problèmes physiques et comportementaux qui sont méconnus du public ». Pour les méthodes d’éducation utilisées dans les publicités, la BVA n’hésite pas à renvoyer les producteurs vers des experts en éducation qualifiés et certifiés pour mettre fin aux pratiques coercitives irrespectueuses de la condition animale.
Ethique et responsabilité sociétale ou environnementale, sont intimement liés. Tout passionné des animaux et du monde du vivant peut donner une autre dimension à son œuvre, comme celle de porter sur les écrans des messages volontaires de protection, de défense ou de sensibilisation à l’égard de l’espèce animale utilisée, même lorsqu’il s’agit d’une publicité ou d’une scène dans un film. Si l’image peut aider à la conservation des espèces animales en danger et à la dignité de nos animaux de compagnie alors tel « des petits ruisseaux qui font de grandes rivières », nous n’aurons peut-être plus besoin d’envisager une arche de Noé pour préserver la richesse et la diversité de ce monde animal si précieux.
* ARP : Agence de Régulation de la Publicité